Un colosse en béton au cœur de la vallée

Bâtir un mur de béton de 105 mètres de haut en pleine vallée sauvage, il fallait oser. Pourtant, c’est ce défi incroyable qu’ont relevé ingénieurs et ouvriers en lançant, en 1929, le chantier du barrage de Sarrans, sur la rivière Truyère. Aujourd’hui encore, cette grande silhouette frappe l’imaginaire. À la fois outil de production d’électricité, sentinelle sur la rivière et architecte du paysage, Sarrans veille sur les Monts du Cantal et sur les centaines de millions de mètres cubes d’eau retenus derrière lui.

Le barrage de Sarrans n’est pas qu’un ouvrage d’ingénierie : c’est aussi l’origine du vaste lac qui s’étend sur près de 35 kilomètres, serpentant entre forêts, gorges et villages. Mais comment fonctionne exactement ce barrage ? Peut-on s’approcher de son univers technique, ou même le visiter ? Plongeons ensemble dans les coulisses de cet édifice fascinant.

Les grandes chiffres du barrage de Sarrans

  • Hauteur : 105 m
  • Longueur en crête : 225 m
  • Capacité du lac : 300 millions de m
  • Surface du lac : 1 000 hectares
  • Année de mise en service : 1934
  • Production annuelle moyenne : Environ 300 millions de kilowattheures (source : EDF, chiffres annuels estimés)

Le barrage de Sarrans fait partie des plus imposants de France, et du « chapelet » de grandes installations hydroélectriques qui ponctuent la vallée de la Truyère depuis le début du XX siècle. Il s’inscrit dans une aventure humaine, technique et territoriale encore bien vivante aujourd’hui.

Fonctionnement du barrage et de l’usine hydroélectrique

Objectif : dompter la Truyère pour produire de l’énergie

Ce barrage est un ouvrage de type voûte-poids : sa forme incurvée et massive lui permet de résister à la pression colossale de l’eau qui s’accumule derrière. L’eau du lac, stockée à environ 660 m d’altitude, s’engouffre dans les conduites forcées, puis chute jusqu’à l’usine hydroélectrique située en contrebas, à La Bromme. En traversant les turbines, cette chute d’eau met en mouvement des alternateurs qui génèrent de l’électricité.

  • Lac-réservoir : garantit une réserve d’eau considérable, permettant une production continue mais aussi l’adaptation de la production lors des pics de consommation électrique.
  • Conduites forcées : ces gigantesques tubes en béton et acier acheminent l’eau sur plusieurs centaines de mètres de dénivelé.
  • Groupes générateurs : à Sarrans, leur puissance cumulée approchait initialement 120 MW lors de la mise en service.
  • Débit régulé : la Truyère, débitée à la sortie, retrouve son cours en aval pour alimenter d’autres barrages successifs.

En addition à la production d’électricité, le barrage joue un rôle de régulation des crues et participe, à sa mesure, à la gestion de la ressource en eau sur tout le bassin (protection des milieux naturels, soutien d’étiage lors des sécheresses, atténuation des crues).

Un barrage vivant : gestion au fil des besoins

Ce qui impressionne le plus, au-delà de la masse de béton, c’est l’extraordinaire souplesse du système. L’eau accumulée peut être turbinée à la demande, offrant à l’exploitation hydroélectrique une réactivité précieuse pour faire face aux aléas climatiques ou à l’imprévu du réseau national. C’est ce que l’on appelle la “production de pointe”.

A Sarrans, la surveillance se fait en continu, grâce à des équipes spécialisées – EDF y consacre un site de maintenance, de contrôle et d’exploitation, à cheval entre télégestion informatisée et présence humaine sur site. Un barrage, c’est aussi toute une routine : contrôles de sécurité, inspections sous-marines, surveillance sismique, vidanges décennales… Ces dernières sont de véritables événements, car elles révèlent, le temps de quelques semaines, le lit originel de la Truyère et les villages engloutis depuis la mise en eau (comme celle de 2014-2015, largement documentée par La Montagne).

Barrage de Sarrans : peut-on le visiter ?

Le site du barrage : un accès réglementé

La tentation est grande de vouloir approcher de près cette géante de béton. Cependant, la zone immédiate du barrage est fermée au public, pour des raisons évidentes de sécurité. Le pied du barrage n’est pas accessible en temps ordinaire, et son sommet n’abrite pas de passerelle ou de belvédère ouvert à la visite autonome.

  • Pas de visite libre permanente : à la différence de certains sites hydroélectriques, il n’existe pas de parcours d’interprétation ou de centre d’accueil intégré au plus près du barrage.
  • Possibilités ponctuelles : lors d’événements exceptionnels (Journées du patrimoine, fête de la science, opérations « journées portes ouvertes » d’EDF), des visites guidées sont parfois organisées. Ces moments donnent accès à certains espaces techniques autrement interdits, accompagnés par les agents d’EDF : découverte des galeries internes, salles de commande, expériences pédagogiques sur la production d’électricité… Les places sont cependant limitées et l’inscription est obligatoire.

Pour vous renseigner sur les prochaines animations exceptionnelles, le plus efficace reste de surveiller la communication d’EDF (actualités départementales, site EDF « Visitez nos centrales »), ou les agendas des Offices de tourisme de l’Aubrac et du Sud-Cantal.

Observer le barrage et le lac : points de vue à ne pas manquer

Rien n’interdit en revanche d’admirer le barrage et le lac depuis différents points d’observation alentour. Si l’on ne peut s’avancer sur l’ouvrage, plusieurs sites offrent de belles perspectives :

  1. Le belvédère de la Poterie (D34, entre Sainte-Geneviève-sur-Argence et Saint-Amans-des-Cots) : l’un des meilleurs points de vue plongeants sur la retenue et la silhouette du barrage au loin.
  2. Le site d’Entraygues-sur-Truyère : on y voit l’aval du barrage, la Truyère reprenant son lit après l’ouvrage, avec une atmosphère plus sauvage.
  3. Sentier d’interprétation du Barrage de Sarrans : plusieurs panneaux d’explication jalonnent le parcours forestier qui descend en direction de l’ouvrage, du côté du hameau de Brommes (commune de Sainte-Geneviève-sur-Argence). La vue y est spectaculaire.
  4. Les eaux du lac : en canoë-kayak, à partir de certains points de mise à l’eau (Port de Brommes, plage de Cantoin), il est possible d’approcher les contreforts du barrage depuis la surface du lac, tout en respectant la signalisation et les limites de navigation.

Avis aux curieux : par temps de très basses eaux, la structure nue du barrage se dévoile davantage, offrant de rares perspectives photographiques !

Derrière l’ouvrage : anecdotes et vie du barrage

L’histoire du barrage de Sarrans, c’est aussi celle des hommes et des femmes qui y travaillent. Sur le site, une équipe d’EDF veille jour et nuit à la sécurité et à la maintenance. La gestion n’est pas qu’affaire de télécommandes : certains contrôles doivent s’effectuer directement dans les galeries internes, où s’activent régulièrement des techniciens chargés d’inspecter les parois, d’observer les mouvements éventuels de la structure (parfois de quelques millimètres seulement !) ou d’assurer la bonne marche des dispositifs de sécurité.

Une anecdote marquante : lors de la vidange décennale de 2014-2015, de nombreux habitants de la vallée ont redécouvert, à sec, les vestiges d’anciens ponts, moulins ou maisons, engloutis lors de la mise en eau du lac. La mémoire collective reste vive autour de cet événement, autant pour l’émotion qu’il suscita que pour le formidable afflux de visiteurs venu admirer cet étrange paysage lunaire (La Montagne).

  • Sécurité et innovations : Sarrans a bénéficié au fil des décennies d’améliorations technologiques successives : télésurveillance, systèmes d’alarme de crue, renforcement de certaines zones critiques…
  • Environnement : la gestion de la qualité de l’eau et la préservation de l’écosystème aval font l’objet d’un suivi spécifique par EDF et l’Agence de l’Eau Adour-Garonne. Certaines zones sont même classées Natura 2000 aux abords du lac.
  • Patrimoine du XX siècle : le barrage de Sarrans, témoin de l’essor industriel du Massif central, est classé à l’inventaire régional des ouvrages remarquables d’Occitanie/Auvergne.

Préparer sa découverte : conseils pratiques

Pour s’immerger au mieux dans l’histoire et l’ingénierie du barrage de Sarrans, voici quelques suggestions :

  • Choisir la bonne saison : Surveillez l’agenda des Journées du patrimoine et des portes ouvertes EDF, généralement en septembre.
  • Randonner autour du lac : Plusieurs itinéraires de randonnée ou VTT (boucle de la Bromme, sentier Saint-Gervais, circuits au départ de Sainte-Geneviève-sur-Argence) permettent d’en apprendre plus sur le paysage façonné par le barrage, parfois au fil de panneaux d’information.
  • Navigation douce : Le canoë ou le paddle offrent un autre angle pour se rapprocher du barrage, tout en profitant de la tranquillité du lac : n’oubliez pas de respecter les zones interdites à l’approche immédiate de l’édifice.
  • Se documenter : Divers ouvrages, expositions locales (musée de l’Aubrac, archives municipales) et documentaires télévisés (notamment sur France 3 Auvergne) relatent les grandes étapes de la construction et la mutation des paysages.
  • Respecter les consignes : Suivez scrupuleusement la signalisation : les abords immédiats du barrage ne sont ni un terrain de jeu ni un endroit pour s’exposer à des risques inutiles.

Une visite même limitée reste inoubliable, tant la force de l’ouvrage et la beauté de l’environnement laissent une impression durable.

Perspectives autour du barrage : entre patrimoine et défi énergétique

La contemplation du barrage de Sarrans s’accompagne d’une double réalité : d’un côté, l’immersion dans un patrimoine industriel gigantesque, témoin d’un siècle de prouesses humaines. De l’autre, l’inscription dans l’actualité : la transition énergétique, la préservation de l’environnement, la gestion partagée de l’eau.

À l’heure où la Truyère s’écoule paisiblement, l’édifice n’a rien perdu de sa modernité. La visite du barrage, même si elle reste occasionnelle et encadrée, interroge : comment allier patrimoine, science et nature ? Comment faire connaître, sans artificialiser ? Chacun trouvera au lac de Sarrans la réponse, au carrefour du béton, de l’eau vive et de la forêt profonde.

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